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Rossignol et « grosse b*te black » : l’avenir du X face à l’offensive abolitionniste

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Suite à l’affaire « French Bukkake », le Sénat organise une série d’audiences sur la pornographie. Mais la perspective d’une remise à plat sereine et raisonnable du secteur pornographique pourrait bien être sabotée par l’idéologie abolitionniste qui motive ces débats.

Depuis novembre 2020, le X français est dans la tourmente. Plaintes en cascade et arrestations médiatisées de producteurs, d’acteurs et de réalisateurs, les témoignages effroyables du dossier French Bukkake/Pascal OP révélés par la presse mettent à jour l’angle mort d’une industrie privée d’instances régulatrices, livrée à la concurrence prédatrice, la précarisation induite par le piratage et la logique de marché. Dérive extrême érigée en cas d’école du secteur, l’affaire ouvre la porte à une offensive abolitionniste sans précédent contre les pornographies, pourtant diverses même sur le territoire français (scène webcam, modèles auto-produites, initiatives féministes, mouvance domina…).

Lois stigmatisantes, ineptes et inapplicables promulguées à l’assemblée, sous le prétexte tantôt des violences conjugales, tantôt de la protection des mineurs, tantôt du harcèlement en ligne, et dont on attend toujours de constater l’efficacité ; amalgame permanent entre plateformes en ligne, sociétés de distribution et studios de production, entre fiction scénarisée et réalisme des actes, entre conditions de travail et pratiques sexuelles représentées ; défilé régulier de prohibitionnistes notoires, qu’il s’agisse d’associations ou d’élus, devant le Sénat ; il ne fait pas bon vivre de l’art pornographique par les temps qui courent. Et TF1 de nous achever cette semaine, avec son marronnier bi-annuel sur l’addiction au porno, dans un 7 à 8 (à défaut d’un 5 à 7) où l’on suit « Anne-Sixtine », diplômée d’école préparatoire en philo puis formée à l’Université Catholique de Lyon, délivrer les élèves du collège (privé) de Pierrefonds du démon masturbatoire. N’en jetez plus. 

Problèmes d’audition

Motivées par l’ampleur du scandale, des auditions sont organisées au Sénat depuis le début de l’année, pour faire le point sur la situation pornographique du pays. Conduites par la délégation aux droits des femmes à laquelle siègent Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, ces séances devraient donner matière à réflexion, dans l’espoir de voir enfin le champ politique s’emparer de la question. Imaginez : après les associations ouvertement abolotes (Le Nid, Osez le Féminisme, Les Effrontées), après les sociologues, après les journalistes « spécialistes de la pornographie », les actrices, premières concernées, ont même pu exprimer leurs points de vue et faire part de leurs doléances au plus haut niveau de l’état : reconnaissance de leur statut professionnel, légalisation des agences de modèles, contractualisation systématique des performances, syndicalisation, réception de leurs plaintes par la police… pour se heurter à l’impéritie crasse de sénatrices totalement étrangères aux réalités du métier. Quatre femmes bourgeoises qui ne découvrent le X qu’à travers le dossier « French Bukkake », pouvait-on s’attendre à autre chose qu’à de la sidération ?

Cet état de fait n’est démenti que par la sénatrice Laurence Rossignol qui, n’ayant jamais caché son hostilité profonde pour tout travail du sexe, y voit l’occasion d’avancer son agenda politique. La mine condescendante, elle fait alors son possible pour empoisonner le puits, comparant toute honte bue, la question essentielle de l’éthique des conditions de production, au cœur du scandale, avec « l’éthique des fantasmes », comprendre : « les actes et les propos représentés dans les séquences porno qui ne rempliraient pas les critères d’acceptabilité de Madame Rossignol ». Et si cette allusion à la censure n’était pas suffisamment explicite, de suggérer carrément de ne plus montrer ni de pénétration ni d’éjaculation. Comme ça, la question serait réglée…

« Portez-vous la réflexion éthique jusqu’aux contenus ? (…) la question de l’éthique se pose, y compris pour les adultes. Bon nombre de réalisations sont racistes et sexistes. Vous me rétorquerez que c’est vrai dans tout le cinéma… Mais, pour le cas qui nous concerne aujourd’hui, la portée est différente, puisque le sexisme est parfois l’objet même de la fiction proposée, sans même parler des images pédocriminelles dont la diffusion prospère sur Internet… L’une d’entre vous a dit : « C’est du cinéma, donc c’est faux. » Oui et non ! Faux, ça ne l’est pas tant que ça. Dans un film policier, si un voyou tombe mort, l’acteur, lui, ne meurt pas vraiment. Or a contrario, ce qui caractérise la pornographie, c’est que la pénétration a lieu, que l’éjaculation a lieu : l’image n’est pas jouée, elle est réelle. En quoi le point de vue que vous défendez sur votre art serait-il modifié si la pénétration était simulée, l’éjaculation imaginée, etc. ? Serait-il porté atteinte à votre vision dudit art sans passage à l’acte, sans pénétration, sans éjaculation ? Serait-il encore possible de faire des films mettant en scène les fantasmes ? Quid de l’éthique des fantasmes que j’évoquais précédemment ? »

Laurence Rossignol, courtesy of Parti Socialiste

Cette négation du caractère fictionnel de la pornographie est en fait au cœur de la pensée abolitionniste. D’abord, elle justifie le dégoût réactionnaire vis-à-vis du X. Le vice perçu n’y est pas un artifice de réalisation, c’est une caractéristique morale de celles et ceux qui la produisent. Ensuite, sophisme par association, elle permet d’associer tous les créateurs et toutes les créatrices de divertissement adulte aux pires stéréotypes porno : racisme, sexisme, pédocriminalité… C’est vrai, qu’est-ce que le fantasme teen, sinon un délire de pédophile, hein, hein, hein ? Enfin, elle réduit les actrices à leurs rôles de succubes nymphomanes, nécessairement complices de tous ces abus par luxure. 

Ces jalons posés, Rossignol joue alors l’inquisitrice, demandant aux actrices, sans la moindre objection de ses consœurs, si elles connaissent « d’autres producteurs, réalisateurs ou acteurs qui pourraient être poursuivis pour des crimes ou délits similaires », mettant les intéressés en porte-à-faux, entre secret de l’instruction, non-dénonciation de crime et insinuation de complicité.

Oiseau de mauvais augure

Même son de cloche lors de l’audition des distributeurs Marc Dorcel et Jacquie & Michel, ce jeudi 12 mai, cette fois-ci dans une configuration de tribunal, les sénatrices surplombant alors le banc. Se sachant en position délicate, vu l’ampleur des accusations et leur position dominante sur le secteur, les tauliers du business ont passé les deux dernières années à se présenter en bons élèves.

Protection des mineurs : chaque firme s’est évertuée à élaguer ses sites de la moindre image explicite. Le groupe Jacquie & Michel s’est même fendu d’une application, My18Pass, vérifiant la majorité de chaque visiteur.

Conditions de production : l’une comme l’autre a élaboré une charte éthique en coordination avec professionnels du secteur et spécialistes du droit, à destination des producteurs dont ils distribuent les contenus.

Contrôle du respect des chartes : Dorcel a imposé des coordinateurs d’intimité sur chaque plateau, tandis que Jacquie & Michel a systématisé les entretiens avec chaque modèle à l’issue de chaque tournage, en l’absence du producteur concerné, pour s’assurer que le tournage s’est correctement déroulé.

Rien n’y a fait. Les sénatrices n’ont eu de cesse de dénoncer l’imperfection des solutions proposées, et un manque de rigueur ayant conduit au pire, sans offrir la queue d’une alternative. Et s’il convient de questionner le pouvoir d’ingérence de telles structures sur un secteur économique si asymétrique, reprocher à des entreprises aux positions dominantes de n’avoir pas pris à leur compte de policer le business est une posture aussi discutable juridiquement que dangereuse politiquement. Quand on sait que les premières plaintes déposées dès 2016 auprès de la police, la vraie, contre le réseau de Pascal OP ont été requalifiées en « litiges commerciaux » par le procureur de la République avant toute instruction, on est effectivement en droit de se demander qui a manqué à son devoir…

Cette tartufferie n’a pas empêché Madame Rossignol, du haut de son perchoir, de piaffer en évoquant avec gourmandise le synopsis à base de « grosse bite black » d’un film distribué par Marc Dorcel, dans une séquence immortalisée sur Youtube et désormais culte.

Est-ce bien sérieux ? Plus que jamais le porno français dans son ensemble aspire à un meilleur encadrement légal de son activité, de ses conditions d’exercice. L’ambition sénatoriale va-t-elle se résumer à éplucher les descriptifs de séquences pornographiques pour décerner les bons points d’inclusivité aux productions méritantes ? À voir le mépris avec lequel le concept de porno féministe a été traité par les parlementaires, on est en droit de douter de la sincérité de Laurence Rossignol. Le principe est toujours le même : faire d’un exemple une généralité et d’une généralité une condamnation morale, pour rendre le X dans son ensemble responsable de tous les maux.

Au vu de la teneur des débats, pollués par l’ignorance et les préjugés défavorables des rapporteuses, il y a fort peu à attendre de cette commission, sinon une énième législation hors-sol renvoyant une nouvelle fois les pornographies françaises à la loi du plus fort ou du plus vicieux. Mais que Madame Rossignol se rassure, que ses perspectives d’interdiction pure et simple aboutissent ou non, la censure de X continuera bon train. Visa et MasterCard, véritables patrons de l’industrie, sont là pour s’assurer que jamais la pornographie ne vienne subvertir l’ordre établi, le patriarcat soft et le droit des femmes à ce qu’on dispose de leurs corps pour elles…

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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