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Louis, 29 ans, Paris : « Je suis séronégatif, mon mec est séropositif : je suis en colère. »

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Jeune vendeur originaire de Bordeaux, il a accepté de se raconter. Pour nous, il revient sur une rencontre qui a fait évoluer ses opinions et, peut-être, changer sa vie…

Si je me décide aujourd’hui à vous parler de moi et mon histoire, c’est pour vous exprimer ma colère… Vous trouverez peut-être mon récit impudique. Qu’importe, j’espère juste qu’il fera réfléchir. Il y a de cela six mois, j’ai rencontré un jeune homme d’une trentaine d’années qui s’appelle Guillaume. C’est un beau brun, avec un sublime regard, intelligent et drôle.  Bref, pour la première fois de ma vie, j’arrive à dire, sereinement, que je suis amoureux. Pourtant…

LVDX - GAY - Louis, 29 ans - Visuel (6) - Campagne Crips-IDFC’était un soir de novembre dernier. Ça faisait très longtemps que je n’étais pas sorti. Et là, j’avais envie de voir du monde, séduire, draguer, b… Bref, après avoir siroté quelques verres de vin blanc avec mes collègues, Guillaume entre dans ce bar avec un ami. Il paraît timide, mais il a une bonne bouille. Nos regards se croisent une première fois, et je tombe littéralement sous le charme. Après m’être rapproché et l’avoir dragué lourdement – je rappelle que j’avais déjà bu quelques verres – dans le fumoir, on s’embrassa.

On se revit quelques jours plus tard dans ce même bar. Il était toujours aussi beau. C’était sûr, ce n’était pas juste l’effet de l’alcool… Très attentionné, il m’invita à dîner. Chez lui. La soirée s’annonçait parfaite : un bon repas (oui, il m’avait vanté ses talents de cuisinier !), du bon vin, de la musique… et le beau Guillaume. Pourtant, je le sentais soucieux, pas à son aise… Nous avions à peine commencé à déguster notre verre de vin qu’il me dit qu’il avait quelque chose de pas facile à me dire… Je le sentais tendu et triste.

« Au bout de quelques secondes, je compris. »

LVDX - GAY - Louis, 29 ans - Visuel (5) - Benjamin et Rasmus dans Snö

Après quelques secondes de silence, il commença à me parler. Son discours n’était pas clair. Il me parlait de son ex, de l’amant de son ex, d’une saloperie, d’indétectabilité. À aucun moment il ne prononça le mot. Au bout de quelques secondes de silence, je compris. Il était séropositif. Après l’avoir détourné tout au long de son discours, il releva son regard vers moi. Il était troublant. Il y avait d’abord une honte criante, mais même si les mots n’étaient pas là, ses yeux me disaient autre chose. Du style « Je t’ai dit la vérité parce que je veux être honnête, mais je sais/sens que tu vas me quitter ». Il y avait comme une forme de résignation dans ses yeux, malgré ma main qui s’est empressée de serrer la sienne… Comme si dire sa séropositivité était une habituelle cause de rejet. J’ai pris conscience du nombre de rejets qu’il a peut-être dû supporter par le passé, ou celui que d’autres séropos doivent subir au quotidien. C’est à ce moment-là que ma colère est montée…

LVDX - GAY - Louis, 29 ans - Visuel (4) - Campagne SNEGEt en même temps, c’est tellement facile d’être en colère contre ceux qui ne savent pas… Lorsque je suis arrivé à Paris, je ne connaissais la maladie que de nom. Jusque-là, je n’avais jamais eu de partenaire séropo, ou du moins qui le disait, ou du moins qui le savait. Moi aussi j’avais des préjugés. Je ne m’y étais pas intéressé, engoncé dans ma petite zone de confort. Mais, à mon arrivée dans la capitale, un de mes collègues m’apprit qu’il était séropo. Il en parlait assez librement. Je lui posais des questions, il y répondait simplement. Avec lui, j’appris ce que voulait dire indétectable, en quoi consistait un traitement, où on en était de la recherche, etc.  Aujourd’hui, je savais, mais avant non. Ça, ça me mettait en colère contre moi. Je ne peux pas dire comment j’aurais réagi face à Guillaume si je n’avais pas connu ce collègue…

JEFFREY, Steven Weber, Michael T. Weiss, 1995, (c) OrionEt en même temps, j’avais encore tellement de questions que je n’osais poser.  Dans les jours qui ont suivi cette soirée avec Guillaume, j’ai eu besoin de lire tout ce qui était possible sur le sujet. Je voulais être au clair sur ce que ça changeait dans nos pratiques sexuelles. Allais-je pouvoir lui faire une fellation ? Quels étaient les risques s’il y avait interaction entre anus et pénis ? Des questions sûrement bêtes, je sais…

Guillaume est sous traitement, suivi très régulièrement, et donc indétectable. Au fur et à mesure de mes lectures, j’ai compris par exemple que cette situation inédite ne changeait rien par rapport à ma sexualité habituelle. Il est séro-inoffensif. Alors oui, j’allais continuer à me protéger, lui aussi. Il faudrait également, comme tout le monde, que je continue à être prudent concernant les IST. Mais rien de plus. Par la suite, un médecin m’a même dit que si notre relation perdurait et que nous n’étions pas un couple libre, nous pouvions envisager de ne plus utiliser le préservatif, comme beaucoup de couples au bout d’un certain temps. Celui-ci me voyant soucieux me dit même en souriant que, si on en avait envie plus tard, Guillaume pourrait même être le père de notre enfant. Je ne savais pas tout ça. Et combien de connaissances gays – ou pas – ne le savent pas non plus et propagent leur ignorance…

« 20 % des 15-24 ans pensent qu’on peut attraper le virus en buvant dans le même verre que quelqu’un qui est séropositif »

LVDX - GAY - Louis, 29 ans - Visuel (2) - Ben & Michael dans Queer As Folk

De nombreuses discussions me revenaient. Notamment celles où chacun y allait de son « Je ne pourrais pas coucher avec un séropo », alors que sans doute la plupart l’avait déjà fait, sans le savoir. Mais il y avait aussi les potes hétéros bien engoncés dans leurs certitudes qui aiment nous rabattre les oreilles en disant : « Fais attention, parce que le SIDA chez les gays ça y va ! » Alors que cette même personne deux jours plus tard vient te voir en disant avec le sourire : « J’ai déconné hier soir. J’ai rencontré un mec, on a couché sans capote. J’espère que je ne suis pas enceinte… » J’étais en colère, tellement en colère…

Je continuais à m’informer et j’appris notamment que, selon un sondage, 20 % des 15-24 ans pensent qu’on peut attraper le virus en buvant dans le même verre que quelqu’un qui est séropositif. Je découvris aussi avec stupéfaction que les séropositifs ne pouvaient actuellement pas bénéficier des soins funéraires à leur décès. Je me suis imaginé désemparé, avec le corps inerte, mort de Guillaume, à mes côtés, dont je ne pourrais prendre soin, à la simple justification qu’il est séropo. J’ai lu toutes les difficultés que les séropos pouvaient aussi rencontrer pour faire un prêt bancaire, alors même qu’aujourd’hui un porteur du VIH a la même espérance de vie que n’importe qui, la sérophobie qu’ils peuvent subir au travail et même chez le médecin ou le dentiste. Je me suis réveillé un matin à ses côtés en pleurs, révolté… Je prétextai un cauchemar. Lui, souriait, savourant l’instant en me serrant dans ses bras.

Aujourd’hui ma colère n’a pas disparu. Je pourrais la développer encore longuement : la colère face à mon ignorance passée ; la colère face à la crainte que mon amoureux a pu avoir en m’annonçant qu’il était séropo, pensant que j’allais partir moi aussi, comme les autres ; la colère face à cette société qui le considère encore comme un paria ; la colère face à ces politiques qui n’agissent pas pour lutter contre l’ignorance et la sérophobie conséquente. Oui, aujourd’hui je suis amoureux, mais en colère, terriblement en colère.

Michael Cock est journaliste et archiviste : il suit l'actualité et l'évolution de la communauté gay depuis plus de 20 ans. Militant de santé sexuelle, les nombreuses confidences qu'il a recueillies lui permettent de relativiser sur les sexualités. De formation scientifique et théâtrale, il décrypte avec humour et logique l'inconscient sexuel de tous les sujets trop sérieux. Il contribue régulièrement pour Garçon Magazine.

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