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L’art d’aimer en terre d’islam
Les sociétés arabo-musulmanes demeurent corse- tées par la religion, et la sexualité, pratiquée entre transgression, culpabilité et hypocrisie, témoigne d’un rapport pathologique à la femme. Pourtant, il existe un érotisme arabe ancestral, que certains intel- lectuels comme Malek Chebel ont mis en lumière.
Le rapport à la femme, dans l’ensemble du monde arabo-musulman, est révélateur des tabous liés à la sexualité, qui sont plus que jamais en vigueur. Comme le rappelle le chroniqueur algérien Kamel Daoud, « l’une des grandes misères d’une bonne partie du monde dit “arabe”, et du monde musulman en général, est son rapport maladif à la femme. Dans certains endroits, on la voile, on la lapide, on la tue ; au minimum, on lui reproche de semer le désordre dans la société idéale. »
« Dans certaines terres d’Allah, déplore- t-il encore, la guerre à la femme et au couple prend des airs d’inquisition. L’été, en Algérie, des brigades de salafistes et de jeunes de quartier, enrôlés grâce au discours d’imams radicaux et de télé-islamistes, surveillent les corps, surtout ceux des baigneuses en maillot. Dans les espaces publics, la police harcèle les couples, y compris les mariés. Les jardins sont interdits aux promenades d’amoureux. Les bancs sont coupés en deux afin d’empêcher qu’on ne s’y assoit côte à côte. »
Pourtant, le sexe n’a pas toujours été tabou en terre d’Islam. Pendant l’âge d’or musulman, Cheikh Nefzaoui écrivit au XVe siècle Le Jardin parfumé, manuel d’érotologie célébrant le corps des femmes et la diversité des plaisirs sexuels, tout en fournissant des recettes aphrodisiaques, des préceptes d’hygiène et des médications pour prévenir les déficiences. L’anthropologue Malek Chebel a compilé, dans son excellent livre L’Érotisme arabe [éd. Robert Laffont], de nombreux textes dédiés à la femme et au plaisir sexuel. L’érotisme arabe se distingue radicale- ment de l’érotisme occidental. Dans un monde ou la mixité n’est jamais valorisée, ou les rapports entre hommes et femmes demeurent très codifiés, l’érotisme ne peut être partagé par les deux sexes comme en Occident.
En effet, il existe dans les pays arabes une tradition de l’amour courtois basé sur la pudeur et la distance entre les sexes. « Les sociétés arabo-musulmanes, explique Malek Chebel, avec leurs conceptions chevaleresques, n’acceptent pas que la femme soit profanée avant qu’elle ne soit l’épouse de son admirateur. La relation amant- amante n’existe pas, seule la case époux-épouse existe. »
Dans Le Coran, la sexualité est loin d’être impure, bien au contraire, et on peut même dire que l’Islam encourage la sexualité. Le prophète Mahomet disait : « J’ai aimé de votre monde : les femmes, les parfums et la prière. ». Le Coran incite le musulman à pratiquer « l’œuvre de chair ». La sourate II, intitulée La Génisse, stipule clairement que l’acte sexuel est une bénédiction divine : « Elles (les femmes) sont un vêtement pour vous et vous êtes un vêtement pour elles […] Cohabitez avec elles et recherchez ce qu’Allah a prescrit pour vous » [Le Coran, II, 187].
Un bon musulman se doit donc d’honorer son épouse en cherchant à la satisfaire. Les bons musulmans doivent « cultiver leur champ » (sourate II, ver- set 223). Alors, comment a-t-on pu en arriver à la misère sexuelle actuelle du monde musulman? Selon Malek Chebel, c’est surtout une question de contexte historique.Ainsi, au IIe siècle de l’Islam, la dynastie des Omeyyades a fixé des règles très dogmatiques concernant les inégalités hommes/femmes dans la société, et énoncé des règles strictes sur le pur et l’impur. Des peines très sévères ont été inventées pour sanctionner les transgressions, fixer les règles dogmatiques de la charia et renforcer la dualité homme/ femme, les frontières entre le pur et l’impur, l’interdit et le permis. Et, pour sanctionner l’interdit, on a créé de nombreuses peines juridiques.
Mais la dynastie suivante réagira à cette charia archaïque en encourageant la poésie, la recherche de la beauté et les plaisirs de la chair. C’est l’époque des Mille et une nuits [ouvrage décrivant parfaitement les parties fines de la bourgeoisie de Bagdad au Xe siècle], d’Éphèbes et courtisanes, dont l’auteur, Al-Jahiz, reste, selon Malek Chebel, « le plus grand prosateur de la langue arabe », ne tarissant pas d’éloges sur les concubines et les mignons. Quant au Jardin parfumé, il regorge de positions amoureuses et de conseils pour décupler son plaisir sexuel, tout comme le Kâma sutra indien. L’anthropologue rappelle que « ce sont les Arabes qui ont inventé les aphrodisiaques, le préservatif, les cosmétiques, les baumes, les préliminaires… Et la séduction, c’est tout une affaire, ça peut durer trois mois ! Dans les harems, les hammams, il y avait beaucoup de lesbianisme et finalement, je pense que les femmes arabes connaissent mieux leur corps que les femmes occidentales. » Malheureusement, ces anciens écrits érotiques arabes sont encore frappés d’hérésie. Et les violences à l’encontre des femmes sont plus que jamais d’actualité.
Un islam éclairé, qui considérerait les plaisirs profanes non comme un obstacle mais comme un moyen de s’élever vers le bonheur spirituel, est-il envisageable? Peut-être, mais dans combien de décennies, voire combien de siècles ? En tout cas, la sexualité représente un enjeu de taille entre conservateurs et réformateurs. Car elle concerne tous les pans de la société. Se référant aux hadiths, Malek Chebel précisait : « aucun musulman ne peut prétendre au paradis s’il ne commence pas par aimer son prochain [aux sens biblique et profane du terme] comme il s’aime lui-même. »
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