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Labiaplastie et porno : psychose du bout des lèvres

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Aussi nommée nymphoplastie, la labiaplastie désigne cette opération de chirurgie plastique qui consiste en l’excision, à des fins « esthétiques », de la partie excédentaire des petites lèvres (ou nymphes), lorsque celles-ci ont le malheur de s’immiscer trop manifestement entre leurs charnues frangines. Et la pratique a le vent en poupe, selon l’American Society Of Plastic Surgery. L’organisation a constaté une progression de 39 % du recours à cette intervention sur le territoire américain, entre 2015 et 2016. Chaque année depuis, ce sont plus de douze mille femmes, dont certaines particulièrement jeunes, qui passent sur le billard pour se faire peler la minette. Alors, l’opinion publique s’interroge : cet étrange engouement ne serait-il pas le marqueur d’un nouveau complexe féminin ? Existerait-il un modèle de vulve idéale ? Ce modèle ne serait-il pas, comme d’habitude, promu par l’odieuse et sexiste industrie du porno ? Comme à La Voix du X, toutes les occasions sont bonnes pour parler foufoune, il n’en fallait pas plus pour vous livrer une petite analyse du phénomène.

Il faut bien admettre qu’il y a de quoi s’interroger, voire s’alarmer, du fait que partout dans le monde des centaines de femmes soient prêtes à investir plusieurs milliers d’euros dans la rénovation de leur devanture intime, dont la boutique ne sera vraisemblablement visitée que par une poignée de partenaires généralement moins intéressés par le design que par le confort. Et pourtant… En Grande-Bretagne comme aux Etats-Unis, où la pratique de la chirurgie esthétique est bien plus libérale qu’en France, le complexe des petites lèvres touche des demoiselles de plus en plus jeunes. Selon le National Health Service (le système de santé publique du Royaume-Uni), plus de 150 adolescentes de moins de 15 ans se sont fait opérer entre 2015 et 2016, sans qu’on réussisse à mettre le doigt sur ce qui pousse de si jeunes femmes à s’inquiéter si profondément de l’aspect de leur vulve.

Du côté des chirurgiens, on se garde bien d’extrapoler quant à la légitimité et au bien-fondé de ce florissant gagne-pain. Plutôt, faute d’être sociologues, les praticiens préfèrent digresser des avantages de la labiaplastie en matière de confort, notamment pour les grandes sportives. Et de citer l’exemple d’une triathlète, très incommodée par les frottements de son intimité proéminente contre la selle, lors de ses longues sessions d’entraînement. Le recours à une telle intervention aurait transformé son rapport au sport, en plus de l’amener à se sentir « plus attirante ». Encore faudrait-il mettre à jour une corrélation entre superficie des petites lèvres et performance cycliste… (Quoique ça ferait un superbe graphique, me direz-vous.)

 

Ce qui nous ramène à l’angoisse du paraître. Et ça porte un nom : Dysmorphophobie -ou Body Dysmorphic Disorder, en anglais (BDD)-, la conviction psycho-pathologique que l’une des parties de son corps revêt un aspect monstrueux par rapport à la norme. Or, dès qu’il s’agit de trouver un motif aux angoisses des femmes quant à leur physique, le coupable est tout désigné. C’est simple, c’est dans la notice, c’est le porno ! Et comme la consommation de X a explosé depuis l’arrivée d’Internet, c’est encore plus pratique de corréler le divertissement adulte à la course au bistouri. Rien à voir avec l’industrie cosmétique, la publicité, les mannequins anorexiques, Instagram, ou les filtres Snapchat. On vous dit que c’est le porno ; et vous êtes priez de le croire.

Les seins siliconés, la faute au porno ; l’épilation intégrale, la faute au porno ; l’anus bleaching, la faute au porno… « Le porno renvoie une image irréaliste du corps de la femme. On donne à voir au public, et notamment à des adolescents de plus en plus jeunes (argument « Familles de France »), des seins/vulves/anus (rayez la mention inutile) qui n’ont rien à voir avec la diversité dont on peut être témoin dans la réalité… » Copiez. Collez. Et voilà ! Vous avez un papier tout prêt, à publier dans la rubrique « Société » à chaque nouvelle avancée dans le domaine de la vacuité chirurgicale, sans avoir à fournir la moindre donnée, le moindre exemple, la moindre démonstration statistique. Et pour causes ; ces assertions issues de préjugés aussi rétrogrades que mal-informés se révèlent généralement fausses. N’importe quelle enquête de bonne foi sur n’importe quel site de streaming porno vous le prouvera. On y trouve des minous de toutes les tailles, de toutes les formes, au poil long comme au poil ras. Des modèles renommées telles qu’Elsa Jean, Anya Olsen, Aj Applegate ou encore la somptueuse Lily Labeau peuvent notamment se prévaloir d’exemplaires pour le moins généreux, sans que la communauté pornophile n’ait jamais crié à leur mise au ban.

 

Et c’est encore plus vrai du côté de l’amateur, domaine pornographique ultra-prolifique, sinon majoritaire. Croyez-vous vraiment que chez les confrères de Jacquie et Michel, on sélectionne les candidates potentielles sur examen génital, le pif dans la tirelire et le mètre-ruban à la main ? C’est risible. Non, la vérité est ailleurs, comme dirait l’autre. En l’occurrence, elle est au pays des kangourous, avec ce qui constitue un authentique cas d’école de l’amalgame entre pornographie et représentation artificiel du corps des femmes.

C’est donc d’Australie que nous vient le premier élément de réponse concernant le mystérieux engouement mondial pour la nymphoplastie, à travers une enquête diffusée dans l’émission locale Hungry Beast, sur les considérations du Bureau de Classification vis-à-vis de la pornographie soft distribuée dans les kiosques. Le magazine Picture, sorte d’Entrevue à la sauce Wallabies, a été pris en flagrant délit de retouche de nénette. L’ancien éditeur du canard, Brad Boxall, s’en est justifié ainsi : « Le seul vagin acceptable (On notera la confusion avec le terme « vulve » de plus en plus condamnée aujourd’hui, ndlr.), en ce qui concerne le Bureau de Classification, est celui qui est ‘propre et ordonné’ (‘neat and tidy’) à leurs yeux. De base, ils considèrent les petites lèvres comme ‘trop offensantes’ pour la pornographie soft. » C’est en outre la pure définition du « pink », le rose de la carnation vaginale, qui délimite la frontière pudibonde entre érotisme et obscénité dans les publications polissonnes. Paradoxalement, si le complexe des petites lèvres trouve effectivement son origine dans le domaine du X, cette stigmatisation est bien plus le fait de censeurs puritains que de pornographes vicelards.

Alors bien sûr, mesdames, votre vulve ne correspondra sans doute jamais exactement à l’outil de travail d’une pornstar internationale, pas plus qu’elle ne trouvera son pareil dans les galeries pleines de bonnes intentions, type « 100 photos de vulves réalistes », où l’on expose froidement la chair comme autant de steak sur l’étal du boucher ; et ce pour deux raisons. D’abord, contrairement aux galeries précédemment citées, le porno propose une esthétique (comprendre : une conception du « beau ») de la vulve. On la filme par en dessous, on l’éclaire, on l’écarte, on la dilate, on la déforme, on la pénètre… Bref, on la montre « sous son meilleur jour », le plus à même d’exciter l’imagination perverse du chaland. Ensuite, et c’est bête à dire, mais vous ne la voyez pas sous le même angle. Il y a toujours une grande différence de perspectives et de proportions entre son propre point de vue et l’œil d’une caméra ou d’un appareil photo, sans même considérer le regard critique que chacun porte sur ses propres attributs. Prenez votre vulve en photo, détaillez-la sous tous les angles, mettez-la en lumière et en valeur. Vous constaterez bien vite que les clichés obtenus sont en mesure de faire bondir le palpitant de quiconque éprouve un tant soit peu de désir pour la sensualité féminine

Comme pour ces messieurs avec la taille de leur engin, le complexe des petites lèvres est l’expression d’une psychose collective et auto-entretenue qui n’a pas lieu d’être. L’immense majorité de la population appartient en effet à une moyenne anatomique anonyme et parfaitement banale. Quant aux extremums, qu’elles se rassurent. Pour chaque goujat mesquin, prompt à dénigrer un tel excès de féminité, on compte une dizaine de gourmets amateurs de burger supplément bacon.

Appétissant, n’est-ce pas ?

Au fond, personne ne s’est jamais posé la question de la taille « acceptable » des labia minora, jusqu’à ce que quelques penseurs moyen-âgeux en fassent un critère d’obscénité, et que quelques trolls frustrés montent le propos en épingle pour humilier des femmes. Aucun d’entre eux ne mérite d’avoir gain de cause.

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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