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Le Vore, fantasme à croquer

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Petit, vous mouilliez votre pantalon devant Pinocchio, lorsque Monstro la baleine avalait tout cru le pauvre pantin de bois, sans savoir s’il s’agissait de terreur ou d’excitation. Plus tard, vous rêviez d’être invité à la boum de la jolie Sophie, non en tant que cavalier, pour la peloter lâchement sur du Richard Sanderson, mais en lieu et place du gâteau, dans l’espoir d’être dévoré vivant par elle et ses copines. Aujourd’hui, l’expression « amuse-bouche » vous électrise, tandis que vous tentez tant bien que mal de cacher vos bouffées de chaleur à la vue du logo des Stones, d’une endoscopie buccale ou d’un documentaire sur les serpents « mangeurs d’hommes ». Rassurez-vous, vous n’êtes pas (nécessairement) un dangereux psychopathe. Vous faites simplement partie, sans doute sans le savoir, du club très fermé des voraphiles. Et c’est tout à fait bénin…

La vorarephilie, aussi nommée « voraphilie », ou plus simplement le « vore », est un fétichisme rare mais suffisamment répandu pour qu’on retrouve une véritable communauté d’amateurs sur des forums spécialisés tels qu’Eka’s Portal. Fusion du latin vorare, « avaler/dévorer », et du grec philia, « aimer », il consiste à éprouver une certaine excitation sexuelle à l’idée d’être mangé, ou de manger autrui. Et pour saisir pleinement ce que cela implique, il convient de le distinguer d’autres paraphilies voisines.

 

Déjà, il ne faut pas confondre le vore avec le feeding, ce plaisir sexuel que l’on tire à voir des personnes, généralement grosses, s’alimenter goulûment, voire à les nourrir soi-même. Dénué de toute considération anthropophage, le feeding se complaît en outre dans une profonde complicité entre chaque partie, tandis que la voraphilie tire sa substance d’un jeu de rôle nettement moins consensuel. Il y a d’un côté les prédateurs, ou « preds », monstres insatiables prêts à engloutir leur prochain avec voracité, et de l’autre les proies, ou « preys », victimes offertes à l’appétit dévorant d’une créature baveuse et dentue. Proies et prédateurs se retrouvent alors dans les tréfonds de l’internet fétichiste pour convenir des termes des festins fantaisistes que leurs imaginaires compulsent. Bon appétit !

Pour autant, il ne s’agit pas non plus de cannibalisme sexuel. Absolument virtuel, le fantasme vore ne repose pas à proprement parler sur un authentique appétit pour la chair humaine, ni sur un désir d’auto-mutilation. Ce dont rêve la proie, c’est d’être goûtée, sucée, savourée, puis avalée toute crue pour être digérée dans un bain de suc gastrique bouillonnant, façon jacuzzi, pendant que le prédateur fantasme à l’idée de faire sien, au sens le plus littéral, le corps d’un autre, en l’absorbant physiquement.

Puisqu’imaginaire, le fantasme vore a tout le loisir de se décliner en diverses spécialités, selon les préférences anatomiques et les prédispositions sexuelles de ceux qui l’alimentent. On peut donc être classiquement mangé par une bouche, mais aussi boulotté par une paire de seins, généralement via les tétons – c’est le breast vore, gobé par un anus – l’anal vore, ou paradoxalement sucé à travers l’urètre d’un pénis – le cock vore. Une variante qualifiée d’unbirth se propose même de vivre la gestation en auto-reverse : la proie adulte finit dans l’utérus de son prédateur pour progressivement retourner au néant. Et chaque étape de la sustentation (ingestion, mastication, déglutition, digestion, voire défécation) fait l’objet d’un culte propre.

En fait, l’art vore se trouve au cœur d’un véritable pandæmonium fétichiste. Et pour cause ; sa dimension éminemment organique le rapproche naturellement des autres genres ayant fait du corps, ses fonctions et ses transformations leurs points de fixation. De fait, la voraphilie peut être perçue comme une sorte de hub fantasmagorique à la portée infinie, connectant macrophilie (le fantasme pour le gigantisme) et endoscopie, feeding et BDSM – la prédation étant un autre rapport de domination, mais aussi furry si le pred se perçoit comme une créature animale, body inflation, urophilie, scatophilie…

A fortiori, on peut voir le vore comme un méta-fétichisme auquel nous serions tous plus ou moins sensible. Après tout, entre deepthroat, dégoulinant de salive, gaping vertigineux et fist-fucking exploratoire, la pornographie n’a jamais été réellement hermétique à l’esthétique vore. Au contraire, elle s’en nourrit avec gourmandise. Et ça n’a rien de franchement étonnant ; l’alimentation et le sexe sont les sources de plaisir les plus primitives auxquelles l’être humain peut prétendre. Or, à une époque où l’homme est parvenu à s’extraire des logiques de prédation, il paraît naturel de voir ces atavismes ressurgir distordus et amalgamés à travers le prisme de nos psychés. Dévorer ou être dévoré, amateurs des plaisirs de la chair, qu’attendez-vous pour vous mettre à table ?

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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